MACRON, LOUVRE PAS !

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MACRON, LOUVRE PAS !

Le 02.04.2023, Isabelle Ducas

Lundi 27 mars 2023, Paris.  Musée du Louvre.

Il est neuf heures précises quand les Ricardo - un couple de touristes italiens, Antonella et Joseph de leur prénom - arrivent devant la Pyramide du Louvre. Sur l’esplanade, il y a foule déjà : des touristes essentiellement, comme eux. Un petit vent frais souffle et le soleil, noyé sous les nuages d’acier, peine à se montrer. Antonella, trop peu vêtue, frissonne. Heureusement, ils ont réservé et n’auront pas à faire la queue bien longtemps, songe t-elle. Avant de se raviser. En effet, des manifestants bloquent l’entrée du musée. Ce sont des salariés du musée du Louvre et d’autres sites culturels. Ils ne sont pas très nombreux, une trentaine de personnes tout au plus, mais bien visibles, armés de leurs pancartes et de leurs gilets rouges, et parfaitement déterminés à maintenir leur position. À présent il bruine et Antonella frissonne de plus belle, mais plus d’appréhension que de froid d’ailleurs : Joseph est tellement irascible parfois… Que va t-il se passer si les choses ne se déroulent pas selon ses prévisions?  Elle craint le pire. Joseph ne supporte pas l’imprévu et cette visite, justement, il l’a prévue, et dans les moindres détails. Pire qu’un général d’armée. Réservation des billets, cela va de soi, mais aussi une étude du parcours à faire. Les yeux rivés sur l’ordinateur, il avait siffloté  « Putain,  plus de  73000 m2 et 35 000 oeuvres,  difficile de tout voir en une journée ! Une stratégie s’impose… »

Antonella se souvient de l’échange qui s’ensuivit. Si on peut considérer cela comme un échange. A consulter le site du musée, Joseph ne cogita pas plus qu’un moineau et opta, comme tout un chacun, pour les  incontournables  du musée.

« La Joconde la Vénus de Milo la Victoire de Samothrace… Donc, on rentre par l’entrée Denon et après…Eh Anto, tu m’écoutes ? 

- Quoi... Oui bien sûr

- On dirait pas ! Je te signale que je fais ça pour toi ma belle...

- Je sais, pardon... Mais arrête de te prendre la tête, on avisera sur place... En plus, tu sais, moi La Joconde, je n’y tiens pas particulièrement.  À la voir, je veux dire. Par contre,  La Liberté guidant le peuple et  Le Radeau de la Méduse… »

Mais Joseph ne l’écoutait déjà plus. Antonella poursuivit sur sa lancée :

« Ah, Le Radeau de la méduse, une oeuvre vraiment impressionnante. 5 mètres sur 7, tout de même. Et le peintre, Théodore Géricault n’avait que 28 ans quand il l’a réalisée. Un travail titanesque. Il paraît que pour ses modèles, il allait voler des cadavres à la morgue…

- Eh ferme-là, tu veux !

- Quoi ?

- Tu m’embrouilles avec ton Théodore machin chouette.  Je me concentre là !

- Ah, très bien. Dans ce cas…

- Bon excuse-moi, il avait dit sans la regarder. Mais c’est vrai quoi,  c’est toi qui veux y aller au Louvre !  Organiser, par contre, Madame ça lui passe au-dessus de la tête et qui c’est qui s’y colle,  c’est Bibi, comme d’hab ! Franchement, je me demande bien ce que tu ferais sans moi ! »

Antonella n’avait rien répliqué et la scène, une fois n’est pas coutume, s’était arrêtée là.  Parce que des scènes, et des sévères,  elle en avait soupé ces derniers temps. Mais elles appartenaient au passé, Joseph l’avait assuré. Bref, après le « qu’est-ce que tu ferais sans moi ! » Antonella n’avait pas insisté. Elle avait songé « Il fait des efforts pour se contrôler. Et pour me faire plaisir. Lui, les musées, il s’en fout complètement. Paris va nous faire du bien, sûrement… »

 

Mais à présent, rien n’est moins sûr. Les manifestants tiennent bon et le blocage se poursuit. Rien qu’à voir la tête de Joseph, Antonella sent poindre la migraine. Elle n’en peut plus de cette obsession qu’il a de vouloir tout contrôler, elle y compris.  Comme si cela était possible.  Elle, c’est tout l’inverse. Du moins le croit-elle. En tout cas, elle peut s’adapter. Cette visite au Louvre, par exemple, tant pis  si elle en est empêchée, elle peut tout aussi bien marcher au hasard des rues. Au contraire, même.  Et d’ailleurs, rien qu’à l’idée, elle sourit, et se souvient : elle avait quoi… 20 ans à peine. Etudiante en histoire, elle faisait son Erasmus à la Sorbonne et les rues de Paris, souvent en compagnie de quelques amis, elle les a arpenté, surtout celles du quartier Latin. Elle se rappelle notamment d’un jeune homme dont elle était secrètement amoureuse. Trop timide. Comment s’appelait-il déjà… Victor…

Soudain Joseph la ramène à la réalité du jour "C’est pas ces trous du cul qui vont dicter leur loi ! C’est prévu c’est prévu, merde ! "  Voilà, ça y est, se dit Antonella, si ses plans sont contrariés, il  va s’en rendre malade et me rendre malade par la même occasion !  Parfois, et cela arrive de plus en plus fréquemment, elle se demande ce qui a pu lui plaire chez cet homme-là. À moins qu’il ait changé ou bien est-ce elle…

Pour l’heure, Joseph est très remonté, comme d’autres visiteurs. Ces derniers massés face aux manifestants sont divisés. Si certains, comme on dit, font contre mauvaise fortune bon coeur, d’autres, à l’instar de Joseph, ne l’entendent pas de cette oreille. Ils veulent en découdre. Et vocifèrent «  C’est une honte ! Ah ces Français, ils veulent rien branler avec leurs revendications de merde ! On a fait des milliers de kilomètres pour visiter Le Louvre ! Et la police qui ne fait rien ! Une bande de fainéants ! Etc… »

Antonella observe Joseph du coin de l’oeil. La colère empourpre son visage et ses yeux sont comme deux fentes meurtrières.

Elle tente de l’apaiser, en vain. Il arbore un sourire grimaçant et brandit son ticket de réservation. C’est alors qu’un des manifestants attire son regard, ou plus précisément son dos, et encore plus précisément le tee-shirt qu’il porte sur le dit dos.  Il est écrit, en lettres capitales :

MACRON LOUVRE PAS

FERME LÀ 

 Le jeu de mots peut-être qui lui rappelle la complexité de la langue française et Antonella se prend à rire tout haut.  Joseph lui jette un regard courroucé et aussi un «  Qu’est-ce qui te fais rire ? » Elle ne répond pas.  Le manifestant se retourne. Sur le devant du tee-shirt, elle lit :

L’ART EN GRÉVE

 

Antonella rit de plus belle. Joseph : « T’es abrutie ou quoi !? »

Antonella ne répond toujours pas. Et pour cause, Joseph, il peut bien dire ce qu’il veut et se mettre la tête à l’envers, elle ne l’entend ni ne le voit plus. L’homme au tee-shirt, par contre, elle le regarde de tous ses yeux. Il lui semble le reconnaître… Victor… Un bref instant, le vertige la prend…  Non, ce ne peut être lui à moins que…

Sans trop savoir pourquoi ni comment, l’histoire du radeau de la Méduse lui vient en tête. La Méduse, une frégate qui s’échoue le 2 juillet 1816 sur un banc de sable au large de la Mauritanie. Les canoës de sauvetage ne sont pas en nombre suffisant pour évacuer toutes les personnes et un radeau de fortune est improvisé. Près de 150 hommes y prennent place, si serrés qu’ils ne peuvent pas même s’asseoir. Tout va de mal en pis et le calvaire s'annonce. Une tempête se lève, la nourriture vient très vite à manquer. Le lendemain matin déjà, on compte une vingtaine de disparus. La folie s’empare des hommes. Désespérés, assoiffés, affamés, certains d’entre eux commencent à manger la chair des autres. Deux semaines plus tard, le radeau est enfin repéré. À son bord, on ne compte plus qu’une toute petite poignée de survivants. Une histoire tragique que cette frégate échouée…  Uu peu comme mon mariage, songe Antonella, on se bouffe sans arrêt… Mais c’est fini tout ça, il vient d’échouer sur l’esplanade du Louvre. Pas mal comme fin…