Rembrandt  pris en flagrant délit…

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Rembrandt pris en flagrant délit…

Nathan Chantob, dessin esquisse gribouillage
40 cm x 35 cm, technique mixte

Dans la vie, il y a des choses auxquelles on ne s’attend pas, des choses pourtant prévisibles - voire un peu prévisibles mais que l’on n’a pas prévues, pas si tôt, pas comme ça. Du coup, puisque l’on ne s’y attend pas, on ne s’y prépare pas. Logique. Et on est pris au dépourvu. Les choses ne se passent pas du tout comme…

Quelles choses, vous dites?  Et bien… Par exemple, un braquage qui tourne mal. Le type est un vrai bras cassé ! Le type ou la fille, notez, il me déplairait d’être taxée de sexisme… Bref le type aurait du, ou pu, s’y attendre, mais non. Il est pris en flag ! Un autre exemple… Le mari - ou la femme - trompe son conjoint et, il ou elle, échange une nuée de textos coquins avec l’amant/amante et, comble de naïveté, laisse trainer son téléphone. Bingo, c’est le flag assuré ! Quoi d’autres ? Des flagrants délits, il y en a plein et de toutes sortes : des petits des grands, des qui portent à conséquences ou pas. Même des flagrants délits de gribouillage ! Si si, je vous assure et d’ailleurs c’est ce qui est arrivé à Rembrandt. Oui à Rembrandt  en personne, le grand maître de la peinture hollandaise du XVII ème siècle que nous connaissons tous. Mais à l’époque il était encore petit…

Voilà l’histoire : nous sommes en 1616, à Leyde, une ville non loin d’Amsterdam et Rembrandt est alors âgé de 9 ou 10 ans. Il est en classe. Précisons ici qu’il est le seul des enfants Van Rijn, et la fratrie est nombreuse, à aller à l’école - une école qui n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. C’est l’école latine, excusez-moi du peu, et la discipline y est de fer. Les enfants sont triés sur le volet :  blancs, catholiques à 95% et abusés sexuellement à… Comment savoir? Ce que je sais, par contre, c’est que, aujourd’hui, cette école, elle en fait saliver plus d’un. « Ah, c’était le bon temps ! soupirent-ils. On est chez nous quand même… »  Le On est chez nous, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais cela fédère je peux vous l’assurer. Et beaucoup. C’est étonnant d’ailleurs comme les types qui prônent chez-moi c’est mieux que chez toi et viens pas polluer mon espace vital sont nombreux ces derniers temps. Et on en trouve dans tous les pays du globe, des religieux ou pas, des riches ou des pauvres… Qu’est-ce qui peut bien les réunir… Ah oui, un truc ou plutôt deux qu’ils partagent à fond: un coeur racorni et des propos nauséabonds. A croire que les chemises brunes ne sont jamais très loin… Mais, comme chantait Nougaro :

« Assez! Assez!

Crient les gorilles, les cétacés…

Il serait temps que l’homme s’aime

Depuis qu’il sème son malheur… »

 

Mais je m’égare ! Il est temps de revenir au petit Van Rijn et à son école latine. Comme dit précédemment, il est le seul de la famille, sur dix enfants, à étudier. Une chance pour Rembrandt, pensez-vous? Et bien, cela dépend… Les cours de dessin ou de théâtre retiennent toute son attention mais d’autres beaucoup moins, et c’est le cas en ce jeudi de février 1616. Quoi? Quel jeudi précisément? Eh bien… Je ne sais plus, j’ai oublié mais… Disons le jeudi 16 février ! De toute façon, cela n’a aucune importance et l’histoire que je vais vous raconter ici aurait très bien pu advenir un autre jeudi ou n’importe quel autre jour. Bref, Rembrandt est à l’école et nous sommes le jeudi 16 février. Le matin est gris, chichement éclairé, venteux… le seul et unique arbre de la cour tremble et ploie sous les bourrasques… Rembrandt est assis devant son pupitre, sur un petit banc de bois, au fond de la salle côté fenêtre. Un camarade partage son bureau, il se tient sur sa droite. La leçon du jour, portant  sur la grammaire latine dans sa forme médiévale, ne passionne pas, mais alors pas du tout, notre jeune Rembrandt. Il a un mal fou à se concentrer et les mots du maître lui arrivent comme dans un brouillard. Dominus dominē dominī… Machinalement, Rembrandt se met à griffonner en marge de son cahier d’écolier : ombres, hachures, traits… Un griffonnage ou gribouillage, appelons cela comme on veut, inconscient dirait-on. Une pulsion. La main de l’enfant courre librement, presque à son insu, et sans se soucier du trait juste ou non. La main s’abandonne, glisse et l’esprit se libère. Mais la leçon se poursuit et le maître se fait entendre, ou presque… Dominō dominō dominum...  Rembrandt s’oblige à revenir vers le maître et, de tous ses yeux, il observe le visage du sachant. Les rides du front, la calvitie galopante, les joues couperosées,  flasques et rougeâtres et aussi cette expression de mépris qui lui tord la bouche… Capiō capis capit… Et voilà que de nouveau, la main de Rembrandt s’envole. Sur la feuille du cahier d’écolier, elle prend ses aises et ne se contente plus de la marge, un exercice jubilatoire mais, en l’occurence, pas inoffensif, du moins aux yeux du maître. Car le gribouillage de notre ami Rembrandt est non seulement fortement prohibé pendant la classe de latin mais, il s’avère aussi que le dit gribouillage est criant de vérité. Entendez par là qu’il est très ressemblant au maître et que celui-ci, marchant dans la travée, surprend Rembrandt en pleine activité ! En rage, il saisit le gamin par l’oreille et glapit  « Mais voyez-vous ça ! Monsieur Van Rijn gribouille… C’est qu’il aurait des velléités artistiques… Eh bien mon petit monsieur, je peux vous le garantir, l’envie, moi, je vais vous la faire passer ! »

Voilà, fin de l’histoire. Inutile de vous dire que la prédiction de l’enseignant ne s'est pas réalisée. A l’inverse, Rembrandt, lui, a réalisé beaucoup, et avec talent !  Des chefs d’oeuvre, dessins gravures  peintures… et des gribouillages ! N’hésitez pas à visiter l’exposition intitulée GRIBOUILLAGE/SCARABOCCHIO De Léonard de Vinci à Cy TWOMBLY, et vous y verrez peut-être le gribouillage de Rembrandt, ou peut-être pas… En tout cas, des gribouillages, vous en verrez d’autres, et beaucoup. L’exposition leur est consacrée. Elle nous offre à voir et comprendre cette pratique du gribouillage, une pratique universelle et ô combien essentielle aux artistes. Des maîtres tels Léonard  de Vinci, Bernin, Raphaël ou encore Rembrandt, mais aussi des artistes modernes et contemporains tels Jean Dubuffet, Henri Michaux, Helen Levitt, Cy Twombly, Jean-Michel Basquiat, Luigi Pericle - la liste n’est pas exhaustive - ont recouru et ont recours au « gribouillage ».

Ah ! une dernière précision, le dessin esquisse gribouillage illustrant cet article est de Nathan Chantob. Un jeune et talentueux artiste. Il n'est pas, encore,  exposé au Palais des Beaux-Arts avec les autres gribouilleurs mais, il y a, d'ores et déjà, toute sa place. Découvrez son travail sur myartmarket.

 

Le 16 février 2023, Isabelle Ducas