Le 19 octobre 2024
Isabelle Ducas
Le Pape des Arts
Le Brigand Borghèse
Qui était Scipione Borghèse ?
Un ambitieux cardinal amoureux des arts ?
Oui.
Un homme peu scrupuleux et fin politicard?
Encore oui.
Un généreux mécène au tempérament réservé ou un nipote jovial à l’appétit cannibale qui se prenait pour Icare ?
Toujours oui.
Scipione Borghèse a été tout cela à la fois. Un collectionneur hors norme, à l’appétit insatiable et au tempérament versatile : rusé et passionné, réservé et exalté. Une question de circonstances. Né en 1577 près de Rome, neveu de Camille Borghèse - élu pape sous le nom de Paul V en 1605, Scipione Caffarelli-Borghèse a très tôt bénéficié d’une position très influente. Son oncle, au lendemain de son élection, le nomme cardinal et l’autorise à porter son patronyme. Une aubaine. Scipione n’a pas encore trente ans et de magnifiques perspectives s’ouvrent alors à lui au sein de la Curie romaine : le droit d’utiliser le noble patronyme de Borghèse (n’oublions pas qu’il est né Caffarelli) et à disposition un joli pactole ! Pour un homme passionné des arts, cela tombe bien. Les oeuvres d’art, hier comme aujourd’hui, ont un prix, et parfois faramineux. Si Scipione Borghèse a d’ores et déjà quelques oeuvres en sa possession reçues en héritage, sa passion pour l’art est loin d’être assouvie. À présent, les revenus extrêmement importants dont il dispose et sa nomination de cardinal vont lui permettre d’accroître sa collection et notre jeune esthète, quitte à se conduire comme un brigand, ne va pas s’en priver.
Pendant les seize années qui suivent, soutenu par son oncle de pape, il va user et abuser de son pouvoir pour financer une collection d’oeuvres d’art impressionnante.
Sa collection, sa passion, sa raison d’être, la quête de toute sa vie ? Peut-être bien. En tout cas, rien ne l’arrête et certainement pas son habit de cardinal. Au contraire. La majeure partie de sa collection est acquise de force auprès d’artistes et mécènes après qu’ils aient été dépouillés, exilés ou emprisonnés…
Des manoeuvres frauduleuses dont certains ont fait les frais. Pour n’en citer que quelques uns :
Le 31 juillet 1607, les soldats pontificaux, sur ordre du pape, prennent d’assaut l’atelier du peintre-collectionneur Guiseppe Cesaré dit le Cavalier d’Arpin, un des artistes les plus en vue à Rome, et « dévalisent » pas moins d’une centaine d’oeuvres. Au motif d’une soi-disant détention illégale d’armes à feu alors qu’en réalité il ne s’agit que d’une collection d’arquebuses, cette saisie est orchestrée par Scipione Borghèse. Le butin a certainement ravi le cardinal-neveu. Primo, Le Cavalier d’Arpin est un peintre de talent reconnu par ses pairs ; deuxio, comme assistant dans son atelier travaille alors un certain Caravage, jeune artiste que Borghèse n’a pas manqué de remarquer. Aussi bien en ce qui concerne l’art ancien que l’art de son temps, le goût sûr et l’oeil avisé du cardinal décèlent les jeunes talents sans coup férir.
Parmi les toiles saisies dans l’atelier du Cavalier d’Arpin se trouvent d’ailleurs 2 Caravage figurant parmi ces premières oeuvres : un autoportrait Le Jeune Bacchus malade et le Garçon à la corbeille de fruits . Les deux oeuvres intègrent bien sûr la collection Borghèse.
Garçon à la corbeille de fruits. Le Caravage
Notre homme n’a peur de rien. Un an plus tard, en 1608, il met sur pied un hold up avant l’heure ! Grâce à des comparses, notamment un curé de la paroisse de la chapelle de la famille Baglioni à Pérouse, il organise le vol en pleine nuit de la Déposition, partie centrale d’un retable de Raphaël dans la dite chapelle.
L’artiste peintre Domenico Zampieri dit « Le Dominiquin » a connu lui aussi le sulfureux Borghèse et quelques jours de geôle par la même occasion. À l’époque, Dominiquin travaille à un tableau Chasse de Diane, commande du cardinal Aldobrandini. Borghèse jette son dévolu sur la toile et intime au Dominiquin de travailler pour lui. Le peintre refuse, il est fidèle à son commanditaire. Borghèse le fait jeter aussitôt en prison. Dominiquin ne peut que se soumettre : il termine son oeuvre et la cède à Borghèse pour une poignée d’écus.
Si, comme l’illustrent ces trois épisodes, la passion de Scipione Borghèse le conduit à user de moyens pas très catholiques, à tout le moins ne seyant pas à un homme en soutane, il sait également faire preuve de générosité et d’intégrité. Il prend volontiers sous sa protection de très jeunes artistes à l’instar de Gian Lorenzo dit « Le Bernin » et achète aussi- en tout bien tout honneur - auprès de mécènes et de familles influentes. Sa collection, l’oeuvre de sa vie, s’enrichit et nécessite un écrin à sa mesure. Ce sera une fastueuse demeure, musée avant l’heure, inspirée des villas antiques et entourée de vastes et luxuriants jardins : la Villa Borghèse. Et puis… c’est le temps qui passe. Quelques années. Scipione Borghèse meurt en 1633. De mort naturelle, à priori. Il n’est cependant pas exclu de penser que certains malchanceux ayant croisé sa route aient rêvé de le crucifier sans autre forme de procès. Et puis… C’est le temps qui passe encore. Quelques siècles. La Villa Borghèse et sa collection deviennent propriété de l’ État italien en 1902 et, après quelques transformations, se voit transformée en musée sous le nom de Galerie Borghèse.
Et maintenant… 122 années se sont écoulées. Nous sommes en 2024. La Galerie Borghèse, en travaux, a prêté au musée Jacquemart-André plusieurs de ces chefs-d’oeuvre emblématiques. Certains d’entre eux signés Caravage, Botticelli, Véronèse, Titien, Le Bernin, Raphaël ou Carrache sont à voir jusqu’au 5 janv. 2025 !
Pour finir un petit aperçu de l’expo :
Judith et Holopherne. 1608, huile sur toile.
Giovanni Baglione.
Samson enchaîné, vers 1594, huile sur toile
Annibal Carrache (1560-1609)
Autoportrait à l'âge mûr, vers 1638-1640, huile sur toile
Gian Lorenzo Bernini, dit BERNIN