CAROLINE

MYARTMARKET

CAROLINE

15 janvier 2023, 15 heures, me voilà au Musée Maillol.

C’est la première fois que j’y mets les pieds, dans ce Musée. En toute franchise, l’Art je n’y connais pas grand chose ou disons que ce n’est pas trop mon domaine. Mais Caroline m’y a donné rendez-vous…  Et Caroline, bien que je ne la connaisse que depuis le nouvel an, c’est la femme de ma vie… Je le sais, je le sens.

C’est complètement fou, je sais, mais j’ai le sentiment, pour la première fois de ma vie, d’être amoureux, vraiment amoureux ! L’exposition « Ceci n’est pas un corps », Caroline l’a déjà visitée, deux fois, je crois, mais  « Cela ne me dérange pas de la refaire avec toi, au contraire. C’est captivant, tu verras ! m’a-t-elle assuré. »

Donc le rendez-vous a été pris à 15 heures tapantes et j’attends Caroline… qui ne vient pas. Je m’impatiente, il est 15 heures 20 à présent. Je l’appelle une fois, deux fois… en vain. Depuis des jours, des heures, des minutes qui me paraissent autant d’éternités,  je songe à notre rendez-vous au Musée Maillol… Ce que Caroline est exaspérante, me dis-je, à me faire attendre comme ça… enfin, « exaspérante » n’est pas vraiment le mot adéquat, cruelle plutôt…    Je suis dans un tel état de nerf,  sur des charbons ardents avec un coeur en fusion… Elle doit bien le savoir, non? Mes pensées se mélangent dans ma tête. Tour à tour, j’imagine un accident de trottinette un attentat une panne dans le métro ou une maladie grave ou quoi ? … Rien, elle m’a zappé, c’est tout ! Elle aurait pu au moins me laisser un message. Mais non, rien !

C’est alors que la colère chasse l’inquiétude. Plus vite que la foudre. Je fulmine et me retiens à grand peine de hurler. Après elle, moi ou la terre entière… Oh, quel idiot je fais et comme elle doit bien rire à présent ! Caroline m’a oublié et de moi, elle se moque éperdument. Comme de l’exposition du reste, qu’elle a vue et revue. Je l’entends encore me la décrire et moi répéter après elle tel un benêt…

Oh oui, une expo ensemble au Musée Maillol c’est une super idée… Tu dis, des artistes internationaux… Bien sûr…  Sam Jinks et oui, enfin non, je ne connais pas mais j’en ai entendu parler… Ah, un artiste australien dont les oeuvres évoquent la fugacité de l’existence… Oh, sûr, ça doit être… Quoi…Ron… Comment tu dis… Ron Mueck?…non, je connais pas mais… Ah oui, tant que ça, une quarantaine de sculptures quand même… sûr… une exposition itinérante … Ah, à Lyon…d’accord… bien, bien, ça a l’air drôlement chouette…

J’entends sa voix dans ma tête et, elle, je la revois dans les moindres détails : ses pommettes hautes et ses cheveux brun, ses yeux brun, eux aussi, et pourtant si lumineux et profonds, comme un puits…  Ce qu’elle portait aussi, rien d’extraordinaire, mais justement. Alors qu’à la soirée, la plupart des filles étaient sur leur trente et un -  robes pailletées et escarpins - Caroline était vêtue avec simplicité : jean, tee-shirt rayé et basket.

Et cela a continué comme ça pendant une bonne vingtaine de minutes. Enfin je crois, le temps s’était arrêté. Elle parlait, et moi je la dévorais des yeux. Et des oreilles.

Soyons honnête, si j’ai fait mine de m’intéresser à ce qu’elle racontait sur la sculpture, l’hyperréalisme et tout ça, c’était uniquement pour lui plaire. Elle m’aurait tenu un discours sur l’art primitif, je l’aurais écouté tout autant. Aujourd’hui, si j’en sais un petit peu sur ce mouvement artistique, c’est que j’ai bu chacune de ses paroles comme si elle était le Messie en personne. Et puis, le lendemain,  en prévision de notre sortie au Musée Maillol et histoire de l’impressionner un chouia, je suis allé fureter aussi sur internet. J’ai retenu que l’hyperréalisme est un mouvement apparu aux Etats-Unis dans les années 60 et aussi qu’il a fait suite, pour ainsi dire, au Pop Art d’Andy Warhol ou de peintres réalistes comme Edward Hopper. J’ai retenu également que le titre de l’exposition « Ceci n’est pas un corps » évoque le très célèbre  « Ceci n’est pas une pipe », un tableau du peintre surréaliste belge René Magritte.

Quoi d’autres? Je ne sais plus…

Je dois admettre que si Caroline m’avait proposé un cinéma, une ballade au Parc Monceau ou n’importe quoi d’autres, j’aurais dit oui. Pour moi, l’exposition était un prétexte pour être avec elle, ni plus ni moins ! A quoi j’ai pensé, elle, une étudiante en histoire de l’art avec un vendeur de fenêtre… Rien à voir… Quoique, par une fenêtre, même entrouverte, on peut voir pas mal de choses, des choses artistiques… Caroline n’a pas le monopole de l’art après tout, moi aussi j’ai des yeux et une sensibilité… Alors, accompagné ou pas, cette exposition, maintenant que j’y suis, je vais la faire. J’achète mon billet et une jeune fille me conseille d’emprunter un escalier sur ma droite « Le parcours commence au premier, vous verrez. Bonne visite !»   Le brouillard encore dans ma tête et une volée de marches plus tard, c’est le choc… Caroline est là ! En chair et en os, elle est là, dans son jean moulant et son tee-shirt rayé que je lui connais par coeur… Je ne vois pas son visage mais j’en suis certain, c’est bien elle…  Immobile, de dos, les avant-bras appuyés contre le mur, elle  regarde quelque chose à travers le mur… Enfin, il me semble… On dirait… Ou alors… Non, je n’y crois pas, elle est plus vraie que nature… La situation est quasiment ubuesque et il me faut un long moment pour démêler le vrai du faux et comprendre que cette Caroline n’est pas ma Caroline. Collé sur le mur, un petit carton à droite de la sculpture stipule:

 

 

DANIEL FIRMAN (Bron, France, 1966)
Caroline, 2014
Résine et vêtements, exemplaire unique, 162 x 43 x 47 cm
Collection Petersen

 

 

 

Epoustouflé, j’en oublie, presque, ma déconvenue sentimentale et je poursuis ma visite. J’y lis, entends beaucoup de choses et découvre des oeuvres d’art époustouflantes de vérité.

L’une d’elles, une sculpture de l’artiste australien Ron Mueck - Caroline n’avait pas tari d’éloges à son sujet, et à juste titre - intitulée Man in a Sheet   m’ impressionne grandement, et m’émeut aussi. Représentant un homme âgé, d’assez petite taille et dont on ne voit que le visage, le corps du vieillard est totalement enveloppé d’un drap blanc. Cette oeuvre exprime la solitude, la mort qui s’annonce probablement… Chacun, bien sûr, interprète ou ressent les choses différemment, mais on ne reste pas insensible devant une telle oeuvre d’art, pas moi en tout cas.  Je découvre également les sculptures de SAM JINKS, notamment celle intitulée Woman and Child, réalisée en 2010 et qui est d’une perfection technique remarquable. Entre autres matériaux, Sam Jinks s’est servi de silicone, de fibre de verre et de cheveux et le résultat est surprenant. Sur le petit guide du visiteur, remis à l’entrée du musée, je peux lire : « Woman and Child décrit avec une surprenante richesse de détails le vieillissement du corps. Dans cette sculpture, l’artiste représente peut-être une seule et même personne, enfance et vieillesse d’un même mouvement… » Il y a aussi cette autre sculpture, encore de Sam Jinks, intitulée Kneeling Woman. Une oeuvre émouvante, très poétique et digne des maîtres anciens. La sculpture a été réalisée en silicone pigment résine et cheveux. Elle représente une jeune femme, peut être en prière, nue, à la peau blanche où se dessine les veines et les artères et qui me semblent presque palpiter… Le temps ici n’a plus cours et je m’attarde devant chaque oeuvre d’art avec tant de bonheur qu’une bonne  demi-heure déjà s’est écoulée.

Je suis dans un autre monde,  happé par tout ce qui m’entoure avec ses sculptures représentant l’humain et dont émanent, pour la majorité d’entre elles,  à la fois une fragilité et une force surprenante quand mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. Un message de Caroline, la vraie.

Où es-tu? Nous avions bien rendez-vous à 16 heures, non? Je t’attends…

 

Isabelle Ducas, le 20 janvier 2023